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RÉPONSE DÉFINITIVE D’UNE THÉOSOPHE À
M. ROSSI DE JUSTINIANI

[La Revue Spirite, Paris, Septembre 1879]

L’article intitulé: «Dernières Réflexions d’un Oriental», qui m’est adressé dans le numéro de juin de La Revue Spirite, exige une réponse. Secrétaire correspondant de la Société Théosophique, il est de mon devoir, pour les raisons ci-dessous mentionnées, de relever le gant jeté à notre Société; surtout, lorsque l’une de nos doctrines est qualifiée «d’erreur grave, triste et funeste dans ses conséquences».
Notre Société s’est fait connaître d’un bout du monde à l’autre, mais ses statuts et articles de foi sont totalement inconnus au public.
J’en cite deux, que je traduis à peu près verbatim.
«1. Toute personne désirant de se faire accepter comme membre, doit, avant son initiation, signer un document (a pledge of secrecy), par lequel elle s’oblige, sur sa parole d’honneur, de garder le silence sur les expériences scientifiques de conseil, qu’elles soient du domaine physique ou psychologique, de ne les révéler à personne en dehors de la Société, à moins que la permission ne lui en soit donnée par le conseil suprême. 2. Tout membre jurera de défendre l’honneur de la Fraternité, ainsi que celui du plus pauvre et insignifiant de ses membres, aussi longtemps que ce dernier le méritera, et-cela, en cas de nécessité, au risque de la fortune et même de la vie du défenseur».
C’est au nom de notre Société entière que je réponds aux réflexions de M. de Justiniani, ce n’est pas à lui que nous répondons, mais bien au parti qu’il semble représenter, et qui, à en juger par les susdites «Réflexions» serait, si nous


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n’avions la preuve du contraire, extrême dans son intolérance et—qu’on nous pardonne l’expression—fanatique dans ses croyances. Envisageant la Société Théosophique à son point de vue, il juge notre philosophie, celle des Védas, par les renseignements qu’il a pu obtenir de l’occultisme traditionnel et oriental des «Mages et des Derviches» de son pays islamisé depuis des siècles; je ne m’étonne pas de voir M. de Justiniani traiter «Kapila, Patañjali, Kanâda, et tous les hiérophantes réunis» de l’Inde antique et moderne, avec un dédain aussi suprême. Celui qui n’a pas dans le cœur l’amour de l’humanité entière, amour qui n’a pas à considérer les différences de religions et de races, ne sympathisera jamais avec nous; s’il fait partie d’un corps social religieux, ou philosophique, et ne s’occupe que des seuls intérêts de la propagation de ses doctrines à lui; s’il les place au-dessus de toutes les autres et cherche toujours à convertir l’univers entier à ses croyances spéciales, il ne peut rendre justice aux croyances d’autrui; tel est le Christianisme qui, se figeant dans le dogme, arrêta tout progrès scientifique pendant de longs siècles; ainsi encore, procéda l’Islamisme. Si le Spiritisme avait, parmi ses défenseurs, une majorité qui pensât comme l’auteur des «Dernières Réflexions»—il pourrait agir de même.

M. R. de Justiniani ne fait pas exception à cette règle, cela est évident; tout en confessant ne rien connaître «aux système de l’Aryâvarta», il tient néanmoins à prouver qu’ils ne valent rien. La Science des magiciens (?) anciens et modernes, s’éclipse devant une seule expérience spiritualiste de l’éminent M. Crookes! Sait-il seulement que cet illustre savant, tout en croyant aux phénomènes de la matérialisation, autant que les théosophes qui comptent dans leurs rangs des hommes de mérites placés plus haut dans la hiérarchie de la Société Royale de Londres, qui ont vu des «Katie Kings» se matérialiser par douzaines, sait-il que cette grande autorité des Spiritualistes doute que ce soient les «Esprits» qui président au phénomènes de la matérialisation? . . . il faut de longs siècles à une vérité demontrée pour être acceptée et devenir le patrimoine commun si elle heurte les préjugés et contredit les superstitions populaires;


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par contre, tout paradoxal que soit un sophisme, il sera toujours reçu à bras ouverts, s’il flatte les idées préconçues et l’idole chérie des masses.
M. de Justiniani connaît-il seulement le modus operandi employé par les théosophes lorsqu’il s’agit de phénomènes et d’investigations suivies? Est-il bien renseigné sur ce que nous acceptons et sur ce que nous rejetons? Nos idées sur la valeur du témoignage collectif et corroboratif, en fait de phénomènes, lui sont-elles familières? Il nous sera bien permis d’en douter, puisqu’il cherche à impressionner le lecteur avec cette idée que les théosophes n’ont qu’une «philosophie spéculative qui a fait son temps», et que, ne pouvant fournir des faits, nous les remplaçons par un système; il a cette idée originale qu’on peut «croire à Dieu, aux Esprits, à la vie future, sans cesser pour cela d’être positiviste»(?), «qu’un fait quel qu’il soit doit, avant tout, être mis dans la balance de l’expérience, pesé, touché, obtenu plusieurs fois pour être admis sans conteste». — Ces réflexions nous font supposer que M. R. de Justiniani a trouvé quelque part les règlements de la Société Théosophique, puisqu’il cite deux de ses articles.
Sans contredire ces axiomes, que nous prêchons depuis quatre ans, nous ferons observer à notre contradicteur qu’il se place sur un terrain dangereux, autant pour lui-même, que pour le parti qu’il veut représenter. «Mutato nomine, de te fabula narratur». Les théosophes n’ont que faire de ces reproches, et certains spirites et spiritualistes crédules peuvent se les appliquer.
Commentons ses dernières réflexions: Il est un peu difficile, de concilier l’idée du «Positivisme» avec la croyance «en Dieu, aux Esprits» et «à la vie future». À l’exception du fameux Catéchisme positiviste d’Auguste Comte, nulle part nous n’avons trouvé rien d’aussi paradoxal. Un illustre savant Anglais surnomma un jour la nouvelle religion des positivistes le «Catholicisme romain moins—le Christianisme»; et voilà, qu’on nous prêche maintenant, une vie future, que les savants pourront analyser au creuset, et un «Dieu» qu’ils dissoudraient et cristalliseraient ad gustum! Le Positivisme étant diamétralement l’opposé du


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Spiritualisme, n’admet rien en dehors des sciences physiques et positives, il n’accepte que les faits constatés; je ne pense pas que, parmi les spirites, ceux qui ont des croyances poétiques, une doctrine abstraite et mystérieuse, consentent à dégrader leur consolante philosophie, en la plaçant au nombre des sciences physiques et positives. Toute philosophie, qu’elle s’appelle Spiritisme, Christianisme, Bouddhisme, ou Occultisme, doit nécessairement contenir des idées qui dépassent le domaine des faits physiquement demontrés, théories, qui, toutes logiques qu’elles soient, sont encore composées d’hypothèses et même de généralisations, en elles-mêmes plus que suffisantes pour les exclure à jamais du domaine des sciences positives. Notre estimable contradicteur oublie que ce sont précisément les sciences exactes, la géologie entre autres, qui ont donné le coup de grâce au Christianisme surnaturel avec tous ses miracles, et ce n’était point, je pense, pour tendre les bras grands ouverts au Spiritualisme.
Donc, théorie pour théorie, système pour système, les idées des théosophes ont autant de droit à une place au soleil que celles des spirites et des spiritualistes. La seule différence qui existe entre nous, c’est que les spirites tels que M. de Justiniani se font esclaves de dogmes et d’idées préconçues et peuvent arrêter tout progrès possible dans les sciences psychologiques.
Les théosophes qui «n’ont ni dogmes ni doctrines nouvelles à offrir» (statuts et lois de la Société) aident à ce progrès autant qu’il est en leur pouvoir, «ce sont de simples chercheurs, des investigateurs qui acceptent toute vérité démontrée».
Les «réflexions» de notre adversaire n’encouragent guère les théosophes, dont quelques uns ont eu l’honneur dernièrement, d’être admis par la «Société scientifique d’Études psychologiques» au nombre de ses membres honoraires—à aider leur F.E.C. dans leurs recherches. M. de Justiniani qui ne connait pas les «sublimes conceptions de Kapila . . . et Gautama . . . philosophes indous», accuse, néanmoins, leurs descendants modernes, nos chefs indiens, «de faire fausse route en voulant imiter, en plain dix-neuvième siècle, les mystères de Cérès, d’Éleusines ou ceux de l’antre de


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Trophonius», les théosophes n’ont pas l’habitude de discuter, de nier ou de critiquer soit un système, un fait, ou une organisation scientifique qu’il n’ont pas étudié à fond. Ne croyant à rien a priori, mais en même temps admettant la possibilité des faits les plus merveilleux dans la nature; étudiant, cherchant, comparant tous les systèmes toutes les philosophies, comme toutes les opinions, sans jamais en rejeter aucune avant de l’avoir parfaitement comprise et analysée, ils n’acceptent rien au nom de la foi, pas même les assertions de «l’éminent M. Crookes, de la Société Royale»; ils ne se rendent à l’évidence, que quand la science expérimentale leur a expliqué un phénomène rationnellement. Cependant, comme la science positive ne peut jamais aller au-delà de son domaine limité par nos sens physiques, elle se trouve condamnée à tourner éternellement à l’instar de l’écureuil sur sa roue, autour du fait physiquement démontré, tout en ayant réussi à prouver à l’aide de batteries électriques et autres apparats scientifiques, la réalité palpable du corps temporairement matériel de Miss Katie King. M. Crookes, malgré toute son éminence, a été, jusqu’ici, incapable de nous prouver d’une manière concluante que l’âme de cette belle fille de l’Air appartenait à la classe des Esprits des incarnés plutôt qu’à celle des sylphes sublunaires; aux «anges» des spiritualistes et non aux «diables» de M. de Mirville; la question reste «adhuc sub judice lis est» comme on le dit en cour.*
Nous nous proposons de prouver dans notre prochain article que les oracles sortis de «l’antre de Trophonius» moderne sont capable parfois de rivaliser avec ceux des médiums, et même les surpasser à l’occasion. Pour le moment il est temps de clore cette épitre par trop longue déjà; c’est ce que nous faisons, en ajoutant ces quelques mots. Sûrs que nous sommes de trouver la grande majorité de nos lecteurs spirites moins intolérants, et surtout moins enclins à critiquer ce dont ils ne savent pas le premier mot, nous nous empresserons de leur faire part du résultat de nos dernières études et recherches aux Indes. Les merveilles
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* [Meaning: “the dispute is still with the judge; it is not yet decided.” It occurs in Horace, Ars Poetica, 78.—Compiler.]
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que l’on y voit, ne sont que faiblement dessinées par L.J.* dans ses expériences avec le fakir Govindasami. Quant à votre aimable correspondant de Smyrne, après avoir lu ses «Réflexions» et rêvé sur sa déclaration finale, inéquivoque et formelle, il est clair que toute polémique avec lui devenant impossible, les débats sont clos; après nous avoir invité, avec une générosité—dont nous sommes tout à fait indignes—d’ouvrir pour lui, toute grande, la porte de notre sanctuaire, et de dévoiler une à une toutes nos doctrines, il nous prévient avec franchise que toutes preuves que nous pourrions lui donner seraient inutiles. Il rejetterait «tout ce qui n’est pas d’accord avec la raison (sa raison à lui), et répugnerait à la conscience humaine». Les théosophes croyant à ce que la conscience de M. de Justiniani rejette, il est évident, qu’on peut leur retirer le privilège d’en avoir une.
«Si même ils [les théosophes] parviennent un jour à nous faire assister à l’annihilation du moi dans la nature la plus perverse, ils peuvent être sûrs que nous n’y croirons pas», ajoute notre correspondant de Smyrne qui peut se tranquilliser. Nous sommes discrets et—nous tâcherons de lui éviter la triste nécessité de nous donner le démenti.
H. P. BLAVATSKY.
Bombay, 28 juin.

Nota.—La Revue Spirite, toujours impartiale, a inséré les articles provenant de Madame Blavatsky et ceux de M. Rossi de Justiniani. Les deux adversaires sont remplis de bonne foi, également estimable; seulement au point de vue de leurs études, ils ont des opinions différentes. À ce sujet, le mois prochain, la rédaction indiquera ce qu’elle pense et la ligne de conduite qu’elle s’est tracée.


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* [Louis Jacolliot.]
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